Collectivités : La consolidation de la police de l’habitat : police partout, habitat indigne nulle part

« Il n’est pas d’œuvre humaine qui ne contienne en germe, dans son sein, le principe de sa dissolution ».

Eugène VIOLLET-LE-DUC,

Dictionnaire raisonné de l’architecture française

 

 

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité[1] ». Comme le reconnaît la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen elle-même, lorsqu’elle rencontre la nécessité publique, la propriété privée trouve là ses limites.

En matière de construction et d’habitation, ces dernières se trouvent renforcées à l’issue de l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2021 de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

Une telle consolidation de l’action publique en matière de lutte contre l’habitat indigne était attendue, et ce d’autant plus que le processus législatif avait démarré dès 2018, préfigurant déjà les contours d’une telle évolution.

En effet, dans un avis formulé par l’Assemblée Nationale et présenté par Monsieur le Député Guillaume VUILLETET, il était déjà prévu de permettre au Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance sur ce sujet[2].

L’exigence de procéder par voie d’ordonnance fut ensuite clairement formulée par l’article 198 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (1) : Chapitre III : Lutte contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil (Articles 185 à 200), dite Loi Elan.

Cet article indique les éléments qui devront figurer dans l’ordonnance qui sera prise, à savoir :

« 1° D’harmoniser et de simplifier les polices administratives mentionnées aux articles L. 123-1 à L. 123-4, L. 129-1 à L. 129-7, L. 511-1 à L. 511-7, L. 521-1 à L. 521-4, L. 541-1 à L. 541-6, L. 543-1 et L. 543-2 du code de la construction et de l’habitation et aux articles L. 1311-4, L. 1331-22 à L. 1331-30 et L. 1334-1 à L. 1334-12 du code de la santé publique, et de prendre les mesures de coordination et de mise en cohérence nécessaires pour favoriser la mise en œuvre effective des mesures prescrites par l’autorité administrative ;

2° De répondre plus efficacement à l’urgence, en précisant les pouvoirs dévolus au maire dans le cadre de ses pouvoirs de police générale en matière de visite des logements et de recouvrement des dépenses engagées pour traiter les situations d’urgence, et en articulant cette police générale avec les polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne ;

3° De favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne […] »

Conformément à ce qui était prescrit, l’ordonnance du 16 septembre 2020 et le décret du 24 décembre 2020[3] ont permis de simplifier (I), et d’optimiser (II) l’action de lutte contre l’habitat indigne.

 

I. La simplification de la lutte contre l’habitat indigne

 

L’exigence de simplification qui était prévue par la loi Elan s’est notamment trouvée concrétisée de deux façons dans le code de la construction et de l’habitation : d’une part, il a été procédé à une unification des polices (A) ; d’autres part, une répartition claire des compétences a été opérée (B).

 

A. L’unification de la lutte contre l’habitat indigne

    Auparavant dispersées entre le code de la santé publique[4] et le code de la construction et de l’habitation, et au sein même de ce dernier, réparties en diverses parties[5], les dispositions relatives à la lutte contre l’habitat indigne sont regroupées en un seul chapitre.

La simplification de cette nouvelle police de lutte contre l’habitat indigne transparaît à l’article L.511-1 du code de la construction et de l’habitation, selon lequel : « La police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations est exercée dans les conditions fixées par le présent chapitre et précisées par décret en Conseil d’Etat. »

Les différentes polices administratives se trouvent donc regroupées au sein d’une seule police, permettant d’apporter davantage de clarté s’agissant du champ d’application matérielle.

A ce titre, l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation vient préciser, pour cette nouvelle police, les matières dans lesquelles elle peut intervenir, à savoir :

« 1° Les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ;

[6] Le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ;

3° L’entreposage, dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation, de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ;

4° L’insalubrité, telle qu’elle est définie aux articles L. 1331-22 et L. 1331-23 du code de la santé publique. »

L’unité du champ matériel ne fait cependant pas disparaître la nécessaire dualité organique. Cette dernière bénéficie désormais d’une répartition claire de ses compétences et de leur mise en œuvre.

 

B. Une répartition claire des compétences

    Il n’était pas possible pour l’ordonnance du 16 septembre 2020 d’éviter, à travers les nouveaux articles du code de la construction et de l’habitation, la traditionnelle dualité des acteurs locaux que sont le maire et le préfet.

Pour cette raison, l’article L.511-4 du code de la construction et de l’habitation vient préciser la répartition des pouvoirs qui est opérée entre ces deux autorités :

« L’autorité compétente pour exercer les pouvoirs de police est :

1° Le maire dans les cas mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 511-2, sous réserve s’agissant du 3° de la compétence du représentant de l’Etat en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement prévue à l’article L. 512-20 du code de l’environnement ;

2° Le représentant de l’Etat dans le département dans le cas mentionné au 4° du même article. »

Au titre de la mise en œuvre de leurs compétences, il est important de noter que ces deux autorités peuvent se voir signaler des faits entrant dans leur champ de compétence par toute personne qui en aurait connaissance, ainsi que le prévoit l’article L.511-6 du code précité.

Par ailleurs, ces deux autorités, pour mettre en œuvre leurs compétences peuvent, en application de l’article L.511-7 du code de la construction et de l’habitation, faire procéder à toutes visites qui leurs paraissent utiles afin d’évaluer les risques qui se trouvent mentionnés par l’article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation.

Ce pouvoir trouve toutefois deux limites. Tout d’abord, lorsque de telles visites se déroulent sur des lieux à usage totale ou partielle d’habitation, elles ne peuvent être effectuées qu’entre 6h et 21h. Par ailleurs, si l’occupant s’oppose à une telle visite ou si la personne ayant qualité pour autoriser l’accès aux lieux ne peut pas être atteinte, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation du juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés ces lieux.

Ces deux autorités voient également leur décision être éclairée à la lumière d’un constat établit par un rapport.

Concrètement, pour la situation d’insalubrité, il s’agit d’un rapport du directeur général de l’agence régional de santé ou du directeur du service communal d’hygiène et de santé (Art. L.511-8 CCH). On se trouve ici dans une situation de compétence liée, dans la mesure où ce rapport est un préalable obligatoire à l’arrêté d’insalubrité.

S’agissant de l’arrêté de mise en sécurité qui est pris par le maire, il est pris sur la base d’un rapport établi par les services municipaux ou intercommunaux compétents. Le maire peut également demander à la juridiction administrative la désignation d’un expert, qui doit se prononcer dans un délai de vingt-quatre heures à compter de sa désignation[7]. (Art. L.511-9 du CCH).

Cela étant, si l’expert conclu à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente doit suivre une procédure particulière.

En effet, et s’agissant de l’arrêté de mise en sécurité, l’article L.511-9 du CCH précise que « Si le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un danger imminent, l’autorité compétente fait application des pouvoirs prévus par la section 3 du présent chapitre. »

En application des pouvoirs prévus par la section 3, l’autorité compétente ordonne par arrêté les mesures indispensables pour faire cesser le danger imminent dans un délai qu’elle fixe, sans procédure contradictoire préalable pour l’arrêté de mise en sécurité. (Art. L.511-19 du CCH).

On doit mentionner et regretter ici, eu égard à l’effort de clarification entrepris, un manque de précision relatif à la rédaction de l’article L.511-19 du code de la construction et de l’habitation ainsi formulé dans son premier alinéa :

« En cas de danger imminent, manifeste ou constaté par le rapport mentionné à l’article L. 511-8 ou par l’expert désigné en application de l’article L. 511-9, l’autorité compétente ordonne par arrêté et sans procédure contradictoire préalable les mesures indispensables pour faire cesser ce danger dans un délai qu’elle fixe. »

Le premier manque de précision concerne l’utilisation même de la procédure prévue par cet article. En effet, ce dernier permet d’agir sans procédure contradictoire préalable et ce même en cas de danger simplement constaté. Or un danger constaté, mais qui n’a pas un caractère imminent ou manifeste ne fait pas nécessairement apparaître un caractère d’urgence, de tel sorte que les acteurs locaux peuvent hésiter sur la démarche à suivre en matière de contradictoire.

Il est donc nécessaire de faire œuvre de précaution et de recourir au contradictoire alors même que cela n’est pas forcément l’esprit du texte.

Le second manque de précision de cet article concerne le rapport qui est visé. Le rapport mentionné à l’article L.511-8[8] du CCH peut être le rapport de du directeur de l’Agence Régionale de Santé, comme le rapport des services municipaux ou intercommunaux.

A la lecture du second aliéna de l’article L.511-19 du CCH, qui évoque une procédure de démolition, on peut raisonnablement considérer qu’il est question du rapport des services municipaux et intercommunaux. Un plus grand degré de précision aurait toutefois permis d’éviter de telles suppositions.

En revanche, et de façon ordinaire, l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application de l’article L.511-10[9] du CCH se fait à l’issue d’une procédure contradictoire[10].

La possibilité de déroger à une telle obligation comme le prévoit le code de la construction et de l’habitation, participe, d’une certaine façon, à cette volonté d’optimiser la lutte contre l’habitat indigne.

 

II. L’optimisation de la lutte contre l’habitat indigne

L’optimisation correspond à l’action d’obtenir le meilleur. En cela, les nouvelles dispositions issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020 sont censées permettre aux autorités compétences d’obtenir le meilleur résultat, eu égard aux prescriptions qui devront être adoptées. En effet, ces nouvelles dispositions permettent un renforcement des moyens d’action (A), et prévoit une forme de garantie de l’effectivité de ces dernières (B).

 

A. Un renforcement des moyens d’action

    Les articles L.511-11 et suivants du code de la construction et de l’habitation offrent aux autorités compétentes un large choix d’actions qu’elles peuvent utilement mettre en œuvre en fonction de la gravité des situations constatées.

L’article L.511-11[11] du code précité prévoit notamment ainsi que « L’autorité compétente prescrit, par l’adoption d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, la réalisation, dans le délai qu’elle fixe, de celles des mesures suivantes nécessitées par les circonstances :

1° La réparation ou toute autre mesure propre à remédier à la situation y compris, le cas échéant, pour préserver la solidité ou la salubrité des bâtiments contigus ;

2° La démolition de tout ou partie de l’immeuble ou de l’installation ;

3° La cessation de la mise à disposition du local ou de l’installation à des fins d’habitation ;

4° L’interdiction d’habiter, d’utiliser, ou d’accéder aux lieux, à titre temporaire ou définitif. »

Par ailleurs, l’article L.511-11 du code de la construction et de l’habitation prévoit que l’arrêté doit mentionner qu’à l’expiration du délai fixé, la personne qui n’a pas exécuté les travaux[12] est redevable du paiement d’une astreinte par jour de retard. Le même article prévoit également que les travaux peuvent être exécutés d’office aux frais de la personne visée par l’arrêté[13].

Il est important de relever que la personne visée par l’arrêté, pour n’être pas tenu d’exécuter les mesures prescrites, peut notamment se libérer de son obligation par la conclusion d’un bail à réhabilitation. Elle peut également le faire si elle conclut un bail emphytéotique ou contre un contrat de vente moyennant paiement d’une rente viagère, « à charge pour les preneurs ou débirentiers d’exécuter les travaux prescrits et d’assurer, le cas échéant, l’hébergement des occupants ».

Si la personne exécute les travaux conformément à ce qui est prescrit, elle peut alors obtenir la mainlevée de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, en application de l’article L.511-14 du code de la construction et de l’habitation.

De tels moyens d’action trouvent également la garantie de leur effectivité à travers deux créations de l’ordonnance du 16 septembre 2020 que sont la procédure d’urgence et les dispositions pénales, contribuant ainsi à optimiser les mesures prescrites.

 

B. Une garantie de l’effectivité des moyens d’action

    Pour apporter un peu plus de garanties dans les actions menées par cette nouvelle police de l’habitat, l’ordonnance prévoit une procédure d’urgence propre à permettre que l’action soit menée dans les temps.

En effet, les dispositions des articles L.511-19[14] à L. 511-21 du code de la construction et de l’habitation offrent la possibilité à l’autorité compétente de faire face à toutes les situations, y compris les plus urgentes et ce de manière prompt.

Contrairement à ce qui était prévu par l’ancien article L.511-3 du code de la construction et de l’habitation, le maire n’est donc plus tenu de procéder contradictoirement que ce soit en cas de danger imminent, manifeste ou constaté.

Pour éviter tout risque et si aucune autre mesure ne permet d’écarter le danger, l’autorité compétente peut même aller jusqu’à faire procéder à la démolition complète de l’immeuble. Si une telle décision doit reposer sur un jugement du président du tribunal judiciaire, elle est le fruit d’une procédure accélérée au fond.

Par ailleurs, et de la même façon que pour la procédure ordinaire, si les mesures prescrites ne sont pas exécutées dans les délais, il est possible de les faire exécuter d’office, conformément à l’article L.511-20 du code précité.

Au-delà de cette optimisation temporelle, les nouvelles dispositions ne manquent pas de prévoir des sanctions pénales.

En effet, l’article L.511-22 du code de la construction et de l’habitation envisage des sanctions tant pour les personnes physiques que pour les personnes morales.

S’agissant des personnes physiques, les nouvelles dispositions prévoient des peines d’emprisonnement et d’amende, mais également la possibilité de confisquer les biens ou encore l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, de même que l’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce.

Les personnes morales quant à elles peuvent se voir également interdire d’acheter ou d’être usufruitier d’un bien immobilier à usage d’habitation ou d’un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage totale ou partiel d’hébergement. Ces mêmes personnes morales peuvent se voir aussi confisquer certains biens.

La propriété privée, droit inviolable et sacré, ne saurait donc l’emporter sur la nécessité publique de prévenir les risques liés aux habitats indignes. L’action publique se trouve largement fortifiée par les nouvelles dispositions du code de la construction et de l’habitation, telles qu’elles sont issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020. Puisse l’habitat indigne s’en trouver diminué.

 

Aurélien DEBRAY

Docteur en droit et élève avocat

 

Jérôme MAUDET

Avocat

 

[1] Article 17, Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

[2] Voir Article 58, « Simplifier par ordonnance les procédures de lutte contre l’habitat indigne », Avis fait au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur le Projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (n°846), enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2018.

[3] Décret n° 2020-1711 du 24 décembre 2020 relatif à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

[4] Art. L.129-1 CSP ; Art. L.1331-22 CSP ; Art. L.1331-23 CSP ; Art. L.1331-24 CSP ; Art. L.1331-25 CSP ; Art. L.1331-26 CSP ; Art. L.1331-26-1 CSP.

[5] Art. L.129-1 CCH ; Art. L.129-4-1 CCH ; Art.L.511-2 CCH ; Art. L.511-3 CCH.

[6] Voir également Art. R.511-1 CCH.

[7] Voir également Art. R.511-2 et R.511-4 CCH.

[8] Voir aussi l’Art. R.511-3 CCH.

[9] Voir également Art. R.511-3 et R.511-5 CCH.

[10] V. Art. R.511-8 CCH.

[11] Voir aussi Art. R.511-4 CCH.

[12] Article R.511-6 du code de la construction et de l’habitation : « Le délai d’exécution des mesures de réparation ou de démolition ne peut être inférieur à un mois à compter de la date de la notification de l’arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, sauf dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article L. 511-19. »

[13] Voir Art. R.511-9 CCH.

[14] Voir également l’Art. R.511-6 et Art. R.511-8 CCH.

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Contentieux administratif : La reproduction littérale de la demande de première instance rend irrecevable la requête d’appel (C.A.A. Nantes, 22 janvier 2021, n°19NT03497)

1. Il ressort des dispositions de l’alinéa 1er de l’article R. 411-1 du code de justice administrative que :

« La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge ».

Réservée initialement à la recevabilité des demandes de première instance, cette disposition est applicable aux requêtes d’appel en application de l’article R. 811-13 du code de justice administrative.

Cet article dispose que :

« Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l’introduction de l’instance devant le juge d’appel suit les règles relatives à l’introduction de l’instance de premier ressort définies au livre IV ».

Par conséquent, la requête d’appel doit certes permettre d’obtenir l’annulation de la décision contestée grâce aux moyens développés en première instance mais aussi démontrer que la motivation retenue par le juge de première instance est erronée.

Autrement dit, la requête d’appel doit bien évidemment contenir les moyens propres à obtenir l’annulation d’une décision défavorable mais également soulever des moyens propres à contester le jugement de première instance lui aussi défavorable.

 

2. A cette fin, la critique systématique du jugement de première instance est indispensable.

Les mentions succinctes au jugement de première instance sont insuffisantes.

En ce sens, le simple rappel, à l’issue de la présentation des faits, de l’existence du jugement défavorable et la demande tendant, dans le dispositif, à son annulation ne permettent pas de se conformer aux dispositions combinées de l’article R. 411-1 et R. 811-13 du code de justice administrative.

C’est ce que la Cour administrative d’appel de Nantes a rappelé aux termes d’un arrêt en date du 22 janvier 2021.

Aux visas des dispositions précitées, il a été jugé que :

« En vertu de ces dispositions, la requête doit, à peine d’irrecevabilité, contenir l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge.

    1. La requête dont Mme A… a saisi la cour se borne à reproduire intégralement et exclusivement l’exposé des faits et moyens figurant dans son mémoire de première instance, dont elle ne diffère que par son intitulé, par une référence au jugement attaqué à la fin de l’exposé des faits et par la présentation à la cour de conclusions tendant à l’annulation de ce jugement. Il s’ensuit que la fin de non-recevoir opposée à la requête par l’EHPAD de Carrouges et tirée de ce que cette requête ne satisfait pas aux exigences de motivation résultant des dispositions précitées, doit être accueillie» (C.A.A. Nantes, 22 janvier 2021, n°19NT03497).

Aux termes de cet arrêt, ce n’est pas la reprise littérale, en appel, de l’argumentation développée dans la demande de première instance qui semble être sanctionnée par l’irrecevabilité de la requête mais l’absence totale de critique du jugement contesté qui, à travers sa motivation, a déjà répondu à chacun des moyens invoqués à l’endroit de la décision attaquée.

Cet arrêt viendrait alors confirmer une pratique pourtant établie – mais qui doit parfois être rappelée – selon laquelle chaque appelant doit contester la motivation retenue par le juge de première instance qui a rejeté les moyens invoqués devant lui.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes

 

Contentieux administratif : une requête prématurée n’est pas nécessairement irrecevable

« Does’ to happen sooner rather than later. » (Mieux vaut plus tôt que plus tard) disent les anglais.

La liaison du contentieux par l’exercice d’un recours préalable obligatoire est une formalité indispensable bien connue des publicistes.

Par un arrêt du 16 juin 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser que la recevabilité du recours contentieux est subordonnée à l’exercice d’un tel recours et non à l’intervention d’une décision de l’administration.

« 3. L’institution d’un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, vise à laisser à l’autorité compétente pour en connaître le soin d’arrêter définitivement la position de l’administration. Pour autant, dès lors que le recours administratif obligatoire a été adressé à l’administration préalablement au dépôt de la demande contentieuse, la circonstance que cette dernière demande ait été présentée de façon prématurée, avant que l’autorité administrative ait statué sur le recours administratif, ne permet pas au juge administratif de la rejeter comme irrecevable si, à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. Il appartient alors au juge administratif, statuant après que l’autorité compétente a définitivement arrêté sa position, de regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours administratif préalable, qui s’y est substituée. » (CE, 16 juin 2021, N° 440064)

Il est donc possible, après avoir exercé un recours préalable obligatoire, de saisir directement la juridiction sans attendre que l’administration se prononce expressément ou tacitement.

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit de l’environnement : conséquences de l’annulation d’une dérogation espèces protégées pour un ICPE

Quelles conséquences peut entraîner l’annulation d’une dérogation espèces protégées sur l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement lorsque cette dérogation a, en l’espèce, trouvé exécution ?

Commentaire de Maître Gaëlle PAULIC sous CE, 28 avril 2021, n°440734, Ministre de la Transition Ecologique c/ Société M. (Conclusions Olivier FUCHS, rapporteur public).

 

Par une décision en date du 28 avril 2021, le Conseil d’Etat est venu préciser les incidences de cette annulation contentieuse et de l’autorité de la chose jugée qui s’y attache, tant au regard de l’autorité préfectorale, en charge de tirer les conséquences de cette annulation en faisant usage des pouvoirs  qu’elle détient sur le fondement de l’article L 171-7 du code de l’environnement, que de l’exploitant de l’installation classée.

Par deux arrêtés en date des 29 octobre 2015 et 9 mars 2018, le Préfet du Doubs avait autorisé la société M. à exploiter une carrière de roches calcaires sur le territoire de la commune de Semondans.

Pour permettre cette exploitation et eu égard à la présence d’espèces protégées sur site, le préfet de département avait, par un arrêté du 14 novembre 2014, accordé à la société une dérogation à l’interdiction de détruire, altérer, dégrader des sites de reproduction ou des aires de repos concernant les 29 espèces animales protégées identifiées.

La société avait entamé l’exploitation du site dans sa partie Sud et procédé au décapage total du terrain sur près de 4,5 hectares.

Ce premier arrêté avait été annulé par le Tribunal administratif de Besançon par jugement en date du 21 septembre 2017 et avait donné lieu à l’édiction d’un second arrêté pris en date du 26 décembre 2017 et autorisant la dérogation au principe de protection des espèces protégées identifiées.

Une association, L’association des opposants à la carrière de Semondans (ADOCS), avait demandé l’annulation de ce nouvel arrêté et par un jugement n°1801079 en date du 4 juillet 2019, les magistrats administratifs y avaient fait droit en considérant d’une part que l’arrêté était, comme le premier, insuffisamment motivé[1] et d’autre part, que le projet « d’exploitation de la carrière de Semondans, nonobstant la qualité du gisement en question et l’intérêt économique qu’il représente, ne présente pas un caractère exceptionnel, ni indispensable pour l’approvisionnement en matériaux de qualité du pays de Montbéliard. Alors même que l’arrêté en litige aurait intégré des préoccupations environnementales, le projet ne saurait, par conséquent, être regardé comme constituant une raison impérative d’intérêt public majeur permettant de justifier l’atteinte portée par ce projet au maintien dans un état de conservation favorable des populations d’espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle » (cons.7).

En application des dispositions de l’article L.171-7 du code de l’environnement lesquelles disposent, dans leur version en vigueur depuis le 27 juillet 2019, que  » I.-Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l’objet de l’autorisation, de l’enregistrement, de l’agrément, de l’homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application du présent code, ou sans avoir tenu compte d’une opposition à déclaration, l’autorité administrative compétente met l’intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d’un an /

Elle peut, par le même acte ou par un acte distinct, suspendre le fonctionnement des installations ou ouvrages, l’utilisation des objets et dispositifs ou la poursuite des travaux, opérations, activités ou aménagements jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la déclaration ou sur la demande d’autorisation, d’enregistrement, d’agrément, d’homologation ou de certification, à moins que des motifs d’intérêt général et en particulier la préservation des intérêts protégés par le présent code ne s’y opposent », le Préfet du Doubs avait, par arrêté du 4 octobre 2019, mis en demeure la société de déposer un dossier de demande d’autorisation environnementale ou de cesser définitivement son activité et avait prononcé la suspension immédiate du fonctionnement de la carrière dans l’attente de la régularisation de la situation administrative de l’exploitation.

Sollicitant la suspension de cet arrêté devant le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, la société faisait valoir que plus aucune autorisation n’était requise au titre de la législation espèces protégées puisque le terrain, correspondant à la phase 1 de l’exploitation de la carrière, avait été entièrement décapé en exécution des dérogations obtenues et que la mise en demeure de déposer un nouveau dossier d’autorisation était ainsi entachée d’une erreur de droit.

Faisant droit à cette argumentation, le juge des référés a ordonné la suspension de l’exécution de l’arrêté préfectoral du 4 octobre 2019 et le Ministère de la Transition écologique s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance.

C’est dans ce contexte contentieux et après deux annulations au fond, des arrêtés de dérogation aux espèces protégées délivrés à la société, que le Conseil d’Etat vient préciser les pouvoirs et compétences de l’autorité administrative lorsque ce n’est pas l’autorisation d’exploiter qui a fait l’objet d’une annulation mais la dérogation au principe de protection des espèces prise sur le fondement de l’article L 411-2 du code de l’environnement entièrement exécutée et que ces deux autorisations juridiques délivrées distinctement doivent être considérées comme une autorisation unique du fait de la réforme introduite en 2017 de l’autorisation environnementale unique[2].

Cette articulation des décisions administratives distinctes devenues, de facto, autorisation unique n’est pas nouvelle et le rapporteur public, sous l’arrêt commenté, de rappeler que le Conseil d’Etat avait déjà considéré que l’autorisation environnementale délivrée, que ce soit sur le fondement des installations classées ou de la loi sur l’Eau, était considérée à compter du 1er mars 2017 et des dispositions transitoires de l’ordonnance du 26 janvier 2017 comme une autorisation environnementale et qu’elle peut, dès lors, être contestée en tant qu’elle n’incorpore pas, à la date à laquelle le juge statue, la dérogation aux espèces protégées si celle-ci était légalement requise[3].

Le cadre juridique étant rappelé, il restait alors à en dérouler les conséquences pour l’administration compétente lorsque celle-ci doit se prononcer à raison de l’annulation contentieuse d’une des procédures embarquées par l’autorisation ICPE ou IOTA devenue autorisation environnementale et que cette dernière, du fait de son incomplétude, ne peut être appliquée.

Suivant l’argumentation de son rapporteur public, le Conseil d’Etat, faisant application des dispositions combinées des articles L. 511-1 et 2, L. 411-2, L.181-1 et suivants et L 171-7 du code de l’environnement, fixe ici le régime applicable en assimilant l’incomplétude de l’autorisation environnementale du fait de l’annulation contentieuse d’une des autorisations nécessaires aux travaux, à une exploitation du site irrégulière du fait de l’absence d’une autorisation environnementale et à la possibilité ainsi, pour l’autorité préfectorale, de faire pleinement usage des mesures et sanctions prévues à l’article L 171-7 du code de l’environnement :

 « 15. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, lorsque la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement et délivrée en vue de permettre l’exploitation d’une installation classée pour la protection de l’environnement, ou la partie de l’autorisation environnementale en tenant lieu, a fait l’objet d’une annulation contentieuse, il appartient au préfet de mettre en œuvre les pouvoirs qu’il tient de l’article L. 171-7 du code de l’environnement précité en mettant l’exploitant en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu’il détermine et, le cas échéant, en édictant des mesures conservatoires pouvant aller jusqu’à la suspension de l’exploitation de l’installation en cause jusqu’à ce qu’il ait statué sur une demande de régularisation. Saisi d’une telle demande, il lui appartient d’y statuer en tenant compte de la situation de droit et de fait applicable à la date à laquelle il se prononce, notamment en tirant les conséquences de la décision juridictionnelle d’annulation et de l’autorité de chose jugée qui s’y attache, le cas échéant en abrogeant l’autorisation d’exploiter ou l’autorisation environnementale en tenant lieu ».

Dans le cas présent et une fois le principe de la régularisation de la situation administrative admis, se posait néanmoins la question de savoir, au moment où l’administration aura à se prononcer sur la régularisation de la situation, si une autorisation à déroger était toujours nécessaire du fait de l’exécution des travaux de défrichement et de décapage d’une partie du site et d’appréhender cette problématique sans, ainsi que le rapporteur public le soulevait,  entériner la politique « du fait régulièrement accompli mais finalement illégal » et effacer ainsi « toute trace de la séquence passée ».

Donnant plein effet utile aux objectifs de protection poursuivis par les directives communautaires Habitat et Oiseaux, le Conseil d’Etat précise tant les compétences du préfet pour sanctionner en tenant compte des atteintes commises à la biodiversité que la nature des obligations pesant sur l’exploitant à raison des travaux exécutés sur la base de la dérogation avant son annulation contentieuse pour un motif de fond.

« 16. Dans l’hypothèse où, en raison des travaux réalisés notamment sur le fondement de la dérogation au régime de protection des espèces protégées prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement avant qu’elle ne soit annulée pour un motif de fond, la situation de fait, telle qu’elle existe au moment où l’autorité administrative statue à nouveau, ne justifie plus la délivrance d’une telle dérogation, il incombe cependant au préfet de rechercher si l’exploitation peut légalement être poursuivie en imposant à l’exploitant, par la voie d’une décision modificative de l’autorisation environnementale si elle existe ou par une nouvelle autorisation environnementale, des prescriptions complémentaires. Ces prescriptions complémentaires comportent nécessairement les mesures de compensation qui étaient prévues par la dérogation annulée, ou des mesures équivalentes, mais également, le cas échéant, des conditions de remise en état supplémentaires tenant compte du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées, voire l’adaptation des conditions de l’exploitation et notamment sa durée »

Ainsi, l’exécution des travaux ayant portés atteinte à des espèces et habitats protégés et l’annulation contentieuse de la dérogation obtenue mais déclarée illégale pour un motif de fond, n’exemptent pas l’exploitant du respect de la règlementation espèces protégées et de la mise en œuvre de l’ensemble des mesures compensatoires, celles prévues par la dérogation annulée comme celles pouvant être nouvellement imposées par l’autorité préfectorale pour tenir compte « du caractère illégal des atteintes portées aux espèces protégées ».

C’est également une invitation à la prudence pour les porteurs de projets soumis, en l’espèce, à procédure d’ autorisation environnementale et les inciter à évaluer les risques de l’exécution des dérogations administratives obtenues en matière d’espèces protégées et de l’exploitation du site dès lors que des recours contentieux sont pendants et leur issue incertaine au regard de la difficulté à justifier d’une raison impérative d’intérêt public majeur de nature sociale ou économique, et ce sous peine d’une éventuelle suspension d’exploiter tant qu’il n’aura pas été statué sur une nouvelle autorisation, sans compter, en outre, les difficultés posées par la remise en état des sites.

 

Gaëlle PAULIC

Avocate au Barreau de Nantes

 

 

[1] Considérant 5 du jugement : « Si l’arrêté du 26 décembre 2017 énonce les raisons pour lesquelles il n’existe pas d’autres solutions alternatives satisfaisantes à l’implantation de cette carrière et mentionne en quoi la dérogation accordée répondrait à des raisons impératives d’intérêt public majeur, l’arrêté contesté se borne à mentionner que «  la demande de dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces protégées concernées dans leur aire de répartition naturelle ». Par cette affirmation, qui s’abstient de préciser les éléments de fait sur lesquels repose cette appréciation, l’arrêté en litige ne permet pas de s’assurer du respect de ce critère, dès lors, l’arrêté contesté est insuffisamment motivé ».

 

[2] Ces dispositions, applicables depuis le 1er mars 2017, résultent de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, dont l’article 15 prévoit notamment que : « 1° Les autorisations délivrées au titre (…) du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l’environnement dans leur rédaction antérieure à la présente ordonnance (…) sont considérées comme des autorisations environnementales relevant du chapitre unique du titre VIII du livre Ier de ce code, avec les autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés par le I de l’article L. 181-2 du même code que les projets ainsi autorisés ont le cas échéant nécessités ; les dispositions de ce chapitre leur sont dès lors applicables, notamment lorsque ces autorisations sont contrôlées, modifiées, abrogées, retirées, renouvelées, transférées, contestées ou lorsque le projet autorisé est définitivement arrêté et nécessite une remise en état ».

[3] CE, 22 juillet 2020, n°429610 : « 7. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les autorisations délivrées au titre de la police de l’eau en application de l’article L. 214-3 du code de l’environnement, antérieurement au 1er mars 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 26 janvier 2017, sont considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. Dès lors que l’autorisation environnementale créée par cette ordonnance tient lieu des diverses autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments énumérés au I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, dont la dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l’article L. 411-2 du code de l’environnement, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que l’autorisation environnementale issue de l’autorisation délivrée par le préfet le 17 octobre 2011 au titre de la police de l’eau pouvait être utilement contestée devant elle au motif qu’elle n’incorporait pas, à la date à laquelle elle a statué, la dérogation dont il était soutenu qu’elle était requise pour le projet de travaux en cause. Cependant, après avoir estimé que les travaux autorisés par l’arrêté attaqué étaient susceptibles d’entraîner la destruction ou la mutilation de spécimens d’espèces protégées ainsi que la destruction, l’altération ou la dégradation de leurs sites de reproduction et aires de repos, la cour a commis une erreur de droit en annulant l’autorisation attaquée dans son ensemble au seul motif que cette décision ne comporte pas la dérogation requise en vertu des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement, alors que ce motif ne vicie l’autorisation environnementale en litige qu’en tant qu’elle n’incorpore pas cette dérogation, divisible du reste de l’autorisation.

Collectivités : pas d’obligation d’accueil dans les cantines scolaires au-delà de la capacité maximale

Par un arrêt du 22 mars 2021 qui sera publié au recueil Lebon, le Conseil d’Etat est venu préciser que les conditions d’accès des élèves au service public de la restauration scolaire.

En substance, après avoir rappelé le principe d’égalité d’accès des élèves au service de restauration, les juges du palais royal ont considéré que lorsque la capacité maximale d’accueil est atteinte une collectivité est en droit de refuser d’inscrire de nouveaux élèves :

« 3. Aux termes de l’article L. 131-13 du code de l’éducation, résultant de l’article 186 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté :  » L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille « . Par ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi dont elles sont issues, le législateur a entendu rappeler, d’une part, qu’il appartient aux collectivités territoriales ayant fait le choix d’instituer un service public de restauration scolaire de prendre en compte l’intérêt général qui s’attache à ce que tous les élèves puissent bénéficier de ce service public, d’autre part, qu’elles ne peuvent légalement refuser d’y admettre un élève sur le fondement de considérations contraires au principe d’égalité. Pour autant, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les collectivités territoriales puissent légalement refuser d’y admettre un élève lorsque, à la date de leur décision, la capacité maximale d’accueil de ce service public est atteinte.

4. Par suite, en jugeant que lorsqu’un service public de restauration scolaire existe dans une école primaire, la collectivité territoriale qui l’organise est tenue d’y inscrire chaque élève de l’école qui en fait la demande, sans que l’absence de place disponible ne puisse lui être opposée, la cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit. Son arrêt doit donc être annulé, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi. » (Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 22/03/2021, 429361)

Jérôme MAUDET

Avocat

Vie du cabinet : formation des élus et des agents sur les procédures d’expulsion

Louis-Marie LE ROUZIC animait mardi 16 mars une formation (en présentiel !!) destinée aux élus et agents de plusieurs collectivités sur le thème :

« Occupation illégale du domaine appartenant à une collectivité et procédures contentieuses d’expulsion ».

Au programme de la matinée :

  • La constatation de l’occupation
  • La contestation de l’occupation
  • La cessation de l’occupation

Merci aux participants pour la qualité de leur écoute et des échanges.

Les agents habilités à poursuivre les infractions à l’environnement ont désormais accès au système d’immatriculation des véhicules

L’article 99 de la LOI n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a habilité les agents de police judiciaires adjoints et les gardes-champêtres à constater l’abandon ou le dépôt illégal de déchets.

Depuis l’entrée en vigueur du Décret n° 2021-285 du 16 mars 2021 modifiant les articles R. 330-2 et R. 330-3 du code de la route relatifs aux conditions d’accès au traitement de données à caractère personnel dénommé « Système d’immatriculation des véhicules », ces mêmes agents ainsi que les fonctionnaires et agents mentionnés à l’article L. 172-4 du code l’environnement disposent désormais d’un accès aux informations concernant les pièces administratives exigées pour la circulation des véhicules.

L’objectif est de permettre l’identification rapide des auteurs de dépôts illégaux de déchets.

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Fonction publique : Refus d’imputabilité au service d’un accident survenu au cours d’une soirée de Noël

1. Si un accident intervenu au cours de l’exercice direct des fonctions ne semble pas poser de difficulté particulière sur son imputabilité au service, les activités qui en sont le prolongement peuvent à l’inverse révéler davantage de difficultés.

Par une décision en date du 14 mai 2008, le Conseil d’Etat avait eu l’occasion d’adopter une position de principe à propos d’un agent qui avait participé à une course à pieds, réservée aux seuls agents de la fonction publique territoriale, organisée par l’amicale de la ville de Mulhouse.

A cette occasion, l’agent en question avait même bénéficié d’un ordre de mission de la part de son administration.

En dépit de cette circonstance, le Conseil d’Etat avait dénié l’imputabilité au service de l’accident en litige en jugeant que :

« Considérant qu’un accident dont a été victime un agent d’une commune ne peut être regardé comme imputable au service que s’il est survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou au cours d’une activité qui constitue le prolongement du service » (C.E., 14 mai 2008, n°293899).

Dès lors et depuis cette décision, deux conditions – alternatives – doivent être réunies pour que l’imputabilité au service d’un accident soit reconnue :

  • Soit, l’accident est survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ;
  • Soit, l’accident est survenu au cours d’une activité qui constitue le prolongement du service.

Si l’une ou l’autre de ses conditions est remplie, cette circonstance permettra à l’agent de revendiquer légitimement le bénéfice des dispositions protectrices de l’article 57 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Il est toutefois à noter que même si l’accident est survenu dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou au cours d’une activité qui constitue le prolongement du service, ces circonstances ne justifient pas son imputabilité automatique au service.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a d’ailleurs récemment jugé en des termes dépourvus de toute ambiguïté que :

« 5. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service, le caractère d’un accident de service. Les premiers juges ont à bon droit fait application de ce principe issu d’une jurisprudence ancienne, constante et applicable au litige » (C.A.A. Bordeaux, 9 février 2021, 19BX00054).

 

2. Si l’exercice d’une activité sportive réservée aux agents de la fonction publique territoriale avec l’assentiment de l’administration n’est pas considéré comme le prolongement du service, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a également refusé de reconnaître l’imputabilité au service d’un accident survenu au cours d’une soirée de fin d’année organisée par la collectivité.

En l’espèce et en dépit de deux avis rendus par deux commissions de réforme se prononçant en faveur de l’imputabilité au service de l’accident revendiqué par un de ses agents, le maire de la commune de Blagnac – considérant légitimement qu’il n’était pas lié par ces avis – a refusé de reconnaître cette imputabilité.

Reprenant la position de principe définie par le Conseil d’Etat en 2008, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé que la participation volontaire à une fête, même organisée par la commune, ne saurait constituer un prolongement normal du service et ce, alors même que l’agent se serait sentie obligée d’y être présente.

En ce sens, il a été jugé que :

« 3. Un accident dont a été victime un agent public ne peut être regardé comme imputable au service que s’il est survenu dans l’exercice de ses fonctions ou au cours d’une activité qui en constitue le prolongement du service.

4. S’il n’est pas contesté que l’accident dont a été victime Mme A… n’est pas survenu dans l’exercice de ses fonctions, cette dernière soutient néanmoins qu’il est intervenu au cours d’une activité qui constitue le prolongement du service. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du carton de réponse à l’invitation, que la fête du personnel s’est déroulée le vendredi 14 décembre 2012 à partir de 19H30 à la salle polyvalente des Ramiers à Blagnac et qu’ainsi cette fête s’est déroulée en dehors du lieu de travail et des heures de service. Il ressort également des pièces du dossier, et notamment du carton d’invitation et du tableau comparatif des inscriptions du personnel à la soirée du personnel de 2002 à 2015, que la participation à cette fête était facultative. Si Mme A… soutient qu’en tant que membre de la direction des ressources humaines, elle avait une obligation morale de participer à cette fête organisée par cette direction, il n’est ni établi ni même allégué que l’ensemble des membres de cette direction ait assisté à cette fête. En outre, il n’est pas davantage établi l’existence de quelques représailles que ce soit en cas de non participation à cette fête. Enfin, il n’est pas sérieusement contesté que Mme A… a participé à cette fête en tant qu’invité et non en tant qu’organisateur ou pour y exercer ses fonctions de conseiller en prévention. Dès lors, la participation de Mme A… à cette fête du personnel ne peut être regardée comme étant une activité s’inscrivant dans la continuité de l’exécution de ses fonctions de conseiller en prévention ni comme étant le corollaire de ses obligations de service. Par suite, et nonobstant les avis favorables de la commission départementale de réforme et de la commission de réforme, l’accident en cause, qui ne peut être regardé comme étant survenu au cours d’une activité qui constitue le prolongement du service, ne peut être regardé comme étant imputable au service» (C.A.A. Bordeaux, 11 mai 2020, n°18BX00793).

En définitive, si l’accident revendiqué ne trouve pas son origine dans l’exercice direct des fonctions, il appartient à l’agent de démontrer que l’évènement au cours duquel cet accident est survenu peut être regardé comme étant une activité s’inscrivant dans la continuité de l’exécution de ses fonctions ou comme étant le corollaire de ses obligations de service.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes

Contentieux administratif : effets de l’abrogation sur la procédure contentieuse en cours

Sortie de vigueur d’un acte administratif et conséquences sur le recours contentieux en cours : brève sur C.A.A. Lyon, 11 février 2021, n°19LY01009

 

1. Conformément aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative :

« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ».

Une fois la juridiction valablement saisie d’un recours contre une décision administrative, il n’est toutefois pas à exclure que l’acte en litige fasse l’objet d’une décision de retrait ou d’abrogation par l’administration.

Dès lors, eu égard aux effets d’une telle décision de retrait ou d’abrogation sur la situation du requérant, la question de son impact sur le litige en cours se pose nécessairement.

Aussi, en présence d’une telle décision et à l’occasion des questions préalables à l’examen du fond du litige, le juge administratif est conduit à s’interroger légitimement sur l’opportunité de prononcer un non-lieu à statuer ; lequel intervient notamment lorsque l’objet du recours a disparu.

 

2. Les effets dans le temps des décisions d’abrogation et de retrait étant différents, leur impact sur le recours contentieux l’est nécessairement aussi.

Pour rappel, l’article L. 240-1 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que :

« Au sens du présent titre, on entend par :

1° Abrogation d’un acte : sa disparition juridique pour l’avenir ;

2° Retrait d’un acte : sa disparition juridique pour l’avenir comme pour le passé ».

Cette distinction a été saisie par la jurisprudence administrative laquelle en apprécie la portée sur l’opportunité de mettre fin à un litige contentieux sans y statuer.

A propos d’une décision de retrait, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger que :

« 2. En premier lieu, un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n’a d’autre objet que d’en faire prononcer l’annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n’ait statué, l’acte attaqué est rapporté par l’autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d’être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique de l’acte contesté, ce qui conduit à ce qu’il n’y ait lieu, pour le juge de la légalité, de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Il en va ainsi, quand bien même l’acte rapporté aurait reçu exécution » (C.E., 9 septembre 2020, n°425377).

Aux termes de cette décision, le Conseil d’Etat a rapproché les effets d’une demande d’annulation contentieuse de ceux du retrait d’un acte administratif.

En conséquence, sauf à ce que la décision de retrait ait été contestée – ce qui a pour effet de maintenir la pertinence du recours contentieux – aucun obstacle ne s’oppose à ce que le juge administratif mette fin au litige sans y statuer.

La décision de retrait emportant disparition rétroactive de la décision rapportée, tous ses effets sont anéantis de sorte que son exécution le temps de son existence est sans incidence sur le non-lieu à statuer.

Une telle conclusion n’est toutefois pas transposable pour les décisions d’abrogation lesquelles n’ont qu’un effet pour l’avenir.

A l’inverse de la décision de retrait, la circonstance que l’acte abrogé ait reçu exécution peut avoir une influence sur la décision du juge administratif de conclure au non-lieu à statuer.

En effet, à la différence d’une décision de retrait qui produira les mêmes effets qu’une décision d’annulation contentieuse de la décision en litige, le requérant peut avoir un intérêt à voir la juridiction administrative statuer au fond du dossier.

Le risque réside en particulier dans la possible exécution des effets de la décision abrogée le temps de son existence.

Cette abrogation n’ayant d’effets que pour l’avenir, le requérant peut être légitime à voir la décision abrogée être purement et simplement annulée par le juge administratif.

C’est pourquoi, la jurisprudence administrative considère que le non-lieu à statuer sur une décision contestée par un requérant puis abrogée par l’administration n’est possible qu’à une double condition :

  • Que l’acte contesté n’ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur ;
  • Que la décision procédant à l’abrogation de l’acte contesté soit devenue définitive.

En ce sens, la Cour administrative d’appel de Marseille juge que :

« 2. L’abrogation en cours d’instance de l’acte attaqué est une cause de non-lieu à la double condition que cet acte n’ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive » (C.A.A. Marseille, 12 juillet 2019, n°17MA03709).

 

3. Le 11 février 2021, la Cour administrative d’appel de Lyon est venue confirmer cette position ainsi que la jurisprudence établie en la matière en prenant soin de distinguer, dans le même considérant, les décisions portant retrait et celles portant abrogation d’un acte administratif.

Elle a ainsi jugé que :

« 2. En premier lieu, un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n’a d’autre objet que d’en faire prononcer l’annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n’ait statué, l’acte attaqué est rapporté par l’autorité compétente et si le retrait ainsi opéré acquiert un caractère définitif faute d’être critiqué dans le délai du recours contentieux, il emporte alors disparition rétroactive de l’ordonnancement juridique de l’acte contesté, ce qui conduit à ce qu’il n’y ait plus lieu pour le juge de la légalité de statuer sur le mérite du pourvoi dont il était saisi. Dans le cas où l’administration se borne à procéder à l’abrogation de l’acte attaqué, cette circonstance prive d’objet le pourvoi formé à son encontre, à la double condition que cet acte n’ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive » (C.A.A. Lyon, 11 février 2021, n°19LY01009).

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes