Collectivités victimes : conditions de recevabilité de la constitution de partie civile

Pollutions, dégradations, vols, violences commises contre les agents ou les biens des collectivités, atteinte à l’image… les hypothèses où la collectivité apparaît légitime à voir reconnaître sa qualité de victime sont nombreuses.

Comme l’a récemment rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 mars 2019, une collectivité en charge de l’intérêt général n’est toutefois pas une victime comme les autres.

L’article 2 du Code de procédure pénale prévoit que :

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

La renonciation à l’action civile ne peut arrêter ni suspendre l’exercice de l’action publique, sous réserve des cas visés à l’alinéa 3 de l’article 6. »

L’article 85 du même Code dispose que :

« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.

Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n’est pas requise s’il s’agit d’un crime ou s’il s’agit d’un délit prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par les articles L. 86, L. 87, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 108 et L. 113 du code électoral (…). »

L’article 87 précise que :

« La constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment au cours de l’instruction.

Elle peut être contestée par le procureur de la République ou par une partie.

En cas de contestation, ou s’il déclare irrecevable la constitution de partie civile, le juge d’instruction statue, après communication du dossier au ministère public, par ordonnance motivée dont l’intéressé peut interjeter appel.

Si la contestation d’une constitution de partie civile est formée après l’envoi de l’avis de fin d’information prévu à l’article 175, elle ne peut être examinée ni par le juge d’instruction, ni, en cas d’appel, par la chambre de l’instruction, sans préjudice de son examen, en cas de renvoi, par la juridiction de jugement.»

De longue date, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour une collectivité de se constituer partie civile :

« Attendu que les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ouvrent l’action civile à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage, matériel ou moral, découlant des faits, objet de la poursuite, sans en exclure les personnes morales de droit public ; » (Cass. Crim., 7 avril 1999 N° de pourvoi: 98-80067)

Selon la jurisprudence, les circonstances sur lesquelles s’appuient la constitution de partie civile doivent permettre à la juridiction d’instruction d’admettre comme possibles, non seulement l’existence du préjudice allégué, mais aussi la relation directe de celui-ci avec l’infraction poursuivie.

« s’il est vrai que la constitution de partie civile peut avoir pour seul objet de corroborer l’action publique, encore faut-il, pour qu’elle soit recevable, que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent à la juridiction d’instruction d’admettre comme possibles, non seulement l’existence du préjudice allégué, mais aussi la relation directe de celui-ci avec l’infraction poursuivie ; que, tel n’étant pas le cas en l’espèce, les moyens doivent être écartés ; » (Cass. crim., 19 février 2002, N° de pourvoi: 00-86244).

Par un arrêt du 12 mars 2019, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue confirmer sa jurisprudence en rejetant pour irrecevabilité la constitution de partie civile de la Ville de NICE à la suite de l’attentat perpétré le 14 juillet 2016 sur la promenade des anglais.

La Cour a en effet estimé que, faute de lien direct entre, ni le préjudice matériel invoqué par la commune, ni le préjudice résultant de l’atteinte à son image ne lui confèrent qualité pour agir dans le cadre de l’instance pénale dirigée contre les auteurs.

« Attendu que la commune de Nice s’est constituée partie civile, par voie incidente, en invoquant d’une part, un préjudice matériel résultant tant de sa qualité de subrogée dans les droits de plusieurs fonctionnaires municipaux dont elle aura à avancer les frais et honoraires de leurs avocats, dès lors que certains d’entre eux sont susceptibles de se constituer partie civile, que du dommage occasionné au mobilier urbain par le véhicule utilisé lors de sa course, d’autre part, un préjudice d’image, occasionné par l’atteinte que l’attentat a porté à l’attractivité de la ville ; que le juge d’instruction a déclaré sa constitution partiellement recevable ; que le procureur de la République a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour infirmer l’ordonnance précitée et déclarer irrecevable la constitution de partie civile de la commune de Nice, l’arrêt énonce que les préjudices, tant matériel, que moral, allégués par la partie civile sont dépourvus de lien direct avec les poursuites engagées des chefs visés ci-dessus ; que les juges relèvent que, ni le préjudice matériel résultant des dégradations occasionnées au matériel urbain et de l’intervention des agents de la police municipale, ni le préjudice moral occasionné par l’atteinte à l’attractivité de la ville et les conséquences économiques qui en découlent, n’ont directement pour origine les infractions à la législation sur les armes et les crimes de tentatives d’assassinats, de complicité d’assassinats, de complicité de tentatives d’assassinat et d’assassinats en relation avec une entreprise terroriste visés au réquisitoire introductif ; qu’ils ajoutent que les dommages subis par la ville de Nice, à l’origine desdits préjudices, ne prennent pas davantage leur source dans les faits constitutifs du crime de participation à un groupement en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes en relation avec une entreprise terroriste et ne constituent pas des conséquences directes et personnelles de cette infraction ; qu’ils en déduisent que la partie civile ne justifie pas de préjudices personnels directement causés par les infractions poursuivies ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision dès lors que, s’il suffit pour admettre la recevabilité d’une constitution de partie civile incidente que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent à la juridiction d’instruction d’admettre comme possible l’existence du préjudice allégué, les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’une des infractions visées à la poursuite ;

Que ni le préjudice matériel invoqué par la commune sur le territoire de laquelle les faits constitutifs de ces infractions ont été commis, ni le préjudice allégué par cette dernière résultant de l’atteinte à son image consécutive auxdits faits ne découle de l’ensemble des éléments constitutifs des infractions à la législation sur les armes ou de l’un des crimes contre la vie ou l’intégrité des personnes, ou du crime de participation à un groupement en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes, toutes infractions en relation avec une entreprise terroriste dont le juge d’instruction est saisi, seules infractions des chefs desquels l’information a été ouverte, une telle entreprise terroriste n’étant susceptible d’avoir porté directement atteinte, au-delà des victimes personnes physiques, qu’aux intérêts de la nation ; » (Cass Crim, 12 mars 2019, N°18-80911)

Jérôme MAUDET

Avocat